mardi 26 décembre 2017

Le déménagement de l’enfer

J’aime bien les titres dramatiques ces derniers temps (ou est-ce ma vie qui veux ça ?). Mes articles devraient être illustrés d’affiches de ciné type Blockbuster, avec des explosions, des postures dramatiques et des couleurs qui piquent les yeux.


Je devais déménager un lundi.
Personne ou presque n’a répondu présent.
J’ai trouvé le moyen de louer une camionnette dès le dimanche en louant de particulier à particulier (OuiCar : découverte géniale), et j’avais un peu plus de collègues disponibles, même si beaucoup ont fait les morts. (Et Charles-Henri devait venir -enfin, ça c'était dans l'espace-temps "Avant la Rupture") Seul bémol : j’allais la chercher à une vingtaine de bornes de là (où Charles-Henri avait son précédent internat : moment pénible), et ça me prenait 1h aller-retour. Mais pour 35€ les 2 jours, ça valait le déplacement.
J’ai donc pu réserver pour le dimanche 13h, j’ai proposé aux déménageurs de venir à 14h, et vu que ma mère-la-warrior avait déjà déménagé l'avant veille tout mes cartons dans sa Twingo jusqu'à 1h du matin (pendant que moi j’étais à Charlhenriville pour l’anniversaire de mon ami, et que je restais finalement lamentablement dehors), il ne restait que les meubles. J’ai donc planifié l’état des lieux de sortie le dimanche soir : Comme ça je me débarrassais de ce souci, je partais aussi sec chez ma mère, et ç’en était fini de me morfondre seule.

Sauf que je suis plutôt une poissarde, et que le train de la bonne fortune est repartie sans moi depuis quelques semaines :

Dimanche, 12h25 :
Le type de la location m’appelle. « En fait la précédente personne qui loue ma camionnette ne la rendra qu’à 20h, on peut décaler ? »
Ah beeeeen… Non ! Mes amis arrivent dans 1h30 et à 20h je rends mon appart… Non, ça n’est pas possible.

Donc là je panique, je commence à appeler les agences de location, d’autres particuliers, les grandes surfaces… Mais on est genre dimanche, et tout est fermé.

13h30 :
J’en suis à commencer à me demander comment faire rentrer un sommier dans une Opel Corsa, quand le type me rappelle : « Ca m’embête vraiment de vous bloquer comme ça… Si je vous prête à la place un Citroen Jumpy, ça irait ? Ca pourrait dépanner ? »

13h40 :
Me voilà à foncer pour aller chercher le Jumpy, et revenir aussi sec (1h plus tard, donc), en envoyant des salves de textos à mes collègues pour décaler le début du déménagement à 15h.
Sur la route, je pensais craquer : fatigue, déménagement, imprévus, et puis rouler vers l’ancien internat de Charles-Henri, repenser à notre nuit à l’hôpital, idyllique, où il semblait tellement attaché à moi, ou à ce lundi aux Urgences, où je pensais encore que tout allait bien alors qu’il songeait depuis plus d’une semaine à me quitter.
Et finalement pas une larme, pas un sanglot.

14h40 :
Je reviens chez moi avec le Jumpy, il faut retirer les 6 sièges amovibles de la voiture (20 min de galère). Puis commencer à réfléchir pour faire rentrer le maximum de gros trucs dans un minimum de place.
On s’est rapidement aperçu que ce serait franchement la merde. Du coup mes collègues se sont mis à charger leurs voitures également, et nous avons fait 3 allers-retours dans l’après-midi avec le Jumpy et 6 bagnoles, avant d’en voir le bout (et en évitant de se dire « Ça aurait été en une seule fois avec la camionnette »).

19h :
Nous finissons le dernier trajet et je pars rendre la voiture, après avoir remis les sièges (re-20min de galère).
L’état des lieux devait commencer à 19h45, et il était assez évident que je n’y serais jamais.
Ma mère a donc assuré la suite.

20h15 :
Je suis de retour (mais l’état des lieux est fini). Nous terminons le nettoyage de l’appart toutes les deux, avant d’aller déposer les clefs dans la boite aux lettres du proprio, plutôt arrangeant.

21h :
Dernier trajet jusqu'à mon nouveau chez moi pour déposer ce qui reste (notamment l’aspirateur et les produits d’entretiens).

22h :
Je file à une vingtaine de kilomètres de là pour vendre des produits suite à une annonce que j’avais posté sur le bon coin. Comme c'est sur mon chemin, c'est l'occasion.

22h30 :
Je sympathise avec mon acheteuse et lui fait un petit cours de prothésie ongulaire (Oui, après avoir déménagé toute la journée, et après deux semaines à pleurer mon cœur brisé. Tout est normal)

0h15 :
Je reprends la route, direction chez ma maman, a une centaine de kilomètre de là. Je pensais m’endormir au volant, je pensais pleurer, sangloter au volant… Et en fait ça a été. Je ressentais même un tout petit embryon d'excitation : mon appart était rendu deux jours plus tôt que prévu, mon déménagement a été bouclé en quatre heures malgré les embûches, et lors du dernier trajet, j’avais envie de ranger mon nouveau chez moi, et de commencer à m’y installer.
RANGER.
A.k.a mon geste bien-être.
A.k.a ce que j’ai arrêté de faire depuis des jours.

1h30 :
J’arrive chez ma mère pile quand il commence à neiger et que je me dis, épuisée mais satisfaite « J’arrive juste à temps ».
Ma mère vient m’aider à vider mes bagages, qu’on mets dans son garage pour le lendemain, parce qu’il est tard et qu’on est incapable de les monter sur 4 étages jusqu’à son appart.

2h10 :
On termine de vider et de ranger et là elle me fait : « Bon, on a finit ! … Maintenant je peux te dire un truc, et ça va pas te plaire : J’ai voulu démonter ta cuisine tout à l’heure dans ta maison, quand tu es partie. Je suis tombée du plan de travail, et je me suis ouvert le crâne. Je saigne depuis 4h, il faut que tu m’emmènes aux urgences »
Ma mère s’est donc ouvert le crane dans ma maison, à épongé son sang dans des chiffons, à terminé de démonter ma cuisine tranquillou, est rentré chez elle en voiture (140 km, rappelons-le), m’a attendu, m’a aidé à vider ma voiture, avant d’envisager, peut-être, de voir un médecin.
Je me suis découvert récemment un sang froid à toute épreuve face aux situations graves. J’ai donc pris la nouvelle avec un calme olympien, je ne l’ai pas engueulé (même si c’était mérité) et je l’ai fait monter dans ma voiture, direction les Urgences. Je n’avais rien bu ni rien mangé depuis le petit déjeuner, une tempête de neige faisait rage dehors, et il était 2h15 du matin.
Normal.

2h40 :
On arrive aux Urgences, toujours sous la neige. Ma mère éponge son crane suintant de sang d’un geste négligé. On se prend un thé chaud à la machine, s'attendant à passer des heures dans le service. Pour passer le temps, on compare nos multiples bleus dû au déménagement.

3h :
Les urgentistes estiment (contrairement à ma mère, apparemment), qu’une blessure à la tête, c’est tout de même très risqué, et ils l’examinent avant toutes les autres personnes qui attendent dans la Salle d’Attente.
L’infirmier, après avoir examiné la plaie, fait venir un médecin pour suturer.
« Ah oui, à ce point ? », lance nonchalamment ma maman.
Je suis consternée.

3h20 :
Le médecin recoud tranquillement ma maman, en me tournant le dos.
Et moi, l’adrénaline redescendant, je commence  à paniquer : Le service ressemble beaucoup à l’hopital où travaille Charles-Henri, le médecin lui ressemble – les mêmes épaules larges que j’aimais tant, la même carrure rassurante, qui ne me rassurera plus jamais- et puis l’odeur du sang, le bruit des instruments, les gestes un peu brutaux de ce médecin que je hais malgré moi, peut-être les émotions liées à cette journée… Je commence à me sentir mal.
Mais genre très très très très mal : Mes oreilles bourdonnent, ma vue se rétrécit, mon corps fourmille, j’ai soudain très chaud, et je sens que je suis à deux doigts de perdre connaissance. Et je me dis « Non, non, non, surtout pas, il ne faut surtout pas que je m’évanouisse ». Assise, j’essaie de me concentrer sur ma respiration, ou sur n’importe quoi d’autre du moment que ça m’empêche de tomber dans les pommes. J’ai besoin d’air, mais je suis absolument incapable de sortir. Pour couronner le tout, j’ai une énorme nausée qui monte, et j’en suis à me dire que je vais finir par vomir et m’évanouir dans ma gerbe face à un médecin qui me fait penser à mon ex, dans un acte de déchéance ultime, quand le médecin fini sa couture. Il sort préparer les ordonnances sans m’accorder un regard, et je commence à me sentir un peu mieux et à me dire que je vais peut-être réussir à ne pas perdre connaissance.
Ma mère me regarde, les cheveux poisseux de sang, et son visage change immédiatement : « Oh bordel t’es toute pale. Ca va ?! »
Je secoue la tête : non, ça ne va carrément pas.
Vu son expression catastrophée, je dois vraiment faire peur à voir.
Je cherche des yeux un verre d’eau – il y a un robinet à 3-4 mètre de moi, autant dire que c’est totalement inatteignable. Ma mère, allongée avec son crane fraichement recousu, n’est pas beaucoup plus alerte que moi.
J’attends quelques minutes jusqu’à ce que je me sente capable de me lever, et je vais me servir un verre d’eau, avant de retourner m’asseoir. L’eau, bien que tiédasse, me fait un peu de bien.
Au bout de mon troisième verre, le médecin revient. Il donne ses ordonnances à ma mère, me serre mollement la main sans me regarder, et part.

3h40 :
Ma mère et moi quittons les Urgences bras-dessus, bras-dessous, sans trop savoir qui soutient qui.
Il est 3h40 du matin, dehors tout est blanc, et il neige plus que jamais. Le froid me fait du bien - heureusement, car je dois encore nous ramener jusqu'à la maison. On rentre tout doucement, pendant que je me bénis d’avoir des pneus neiges (et que je réalise que je devrais en acheter pour ma nouvelle voiture – youpi, comme si ça ne suffisait pas que je m’endette sur 5 ans).

Passé 4h du matin :
Nous arrivons à la maison, nous sommes au-delà de la fatigue, au-delà de tout. Nous nous disons, au point où nous en sommes de cette hallucinante journée « Bon, si on dînait ? ».

Nous buvons donc un bouillon, avant d’aller nous coucher et nous endormir avant même que nos têtes soit posées sur l’oreiller.

Bref : un déménagement avec Mademoiselle B.

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