mercredi 20 décembre 2017

La soirée de l’extrême : ratages et grosse honte

J’ai l’impression que ma vie en ce moment est une succession d’événements et de décisions qui suivent la chronologie « Avant la rupture » et « Après la Rupture ».


Un peu avant la rupture, un de mes ami m’invitait à son anniversaire, à Charlhenriville (je vais devoir renommer cette ville). Je comptais y aller, peut-être même inviter Charles-Henri pour présenter mon-mec-trop-super-on-est-ensemble-je-l’aime, et ensuite dormir avec délice entre ses bras.
L’anniversaire avait lieu 10 jours après, et j’ai oscillé entre « J’y vais » et « J’y vais pas » pendant des jours. Si deux jours après la rupture, j’avais l’impression de garder la tête hors de l’eau, j’ai complètement perdu cette capacité la semaine qui a suivi : je n’arrivais pas à me lever, pas à penser, pas à travailler. Je pleurais sans cesse, à gros sanglots. Je me disais que j’étais incapable d’aller à l’anniversaire dans cet état.
J’ai eu une semaine de dingue au boulot, j’ai géré un vieux monsieur qui faisait un malaise avec un sang froid de dingue (et je me suis impressionnée), j’ai eu des tas de choses à faire qui m’épuisaient, un pot de retraite d’une collègue où j’étais terrorisée d’être au milieu de plein de gens et de risquer de pleurer, et j’en passe, sans parler de mon déménagement à préparer – que je n’arrivais pas à avancer. Je me sentais au bout de tout, à subir mon quotidien tant bien que mal, sans réussir à gérer grand-chose, et soulagée quand j’arrivais à ne pas pleurer devant témoins.
J’ai décidé de monter tout de même à Charlhenriville, déjà pour apporter les affaires de Charles-Henri à Président. Le jour même, en bourrant son polo dans le petit carton avec ses affaires, je n’ai pas pu m’empêcher de sentir une dernière fois son odeur sur le tissu. J’ai éclaté en sanglot dans cette odeur que je trouvais, d’une façon complètement irrationnelle, encore rassurante. Il était vraiment temps que je me débarrasse de tout ça.
Lorsque je suis arrivée chez Président, tenant le sachet comme si je transportais des déchets nucléaires, il m’a dit, négligemment « Tiens, poses ça n’importe où. Débarrasse-toi de ça ».
Je lui ai été très reconnaissante de cette attitude détachée.
Son mec et lui me regardait comme si j’étais une bombe à retardement. Certes, j’avais pleuré pendant tout le trajet, et c’est vrai aussi que ça faisait plus ou moins 10 jours que je pleurais quasi non-stop : j’avais une mine effroyable, les yeux irrités, j’étais chiffonnée et habillé n’importe comment. Je suppose que tout mon être hurlait « Ouais, je suis super ultra over mega triste ».
Ils étaient en plein atelier peinture, parce que Président s’est dit « Je vais faire une salle de projection cinéma au rez-de-chaussée de mon appart de ouf » (Ouais, s’t’euplait. Excuse)
Ils se relayaient auprès de moi, l’un peignant, l’autre essayant de me faire la conversation, et nous nous disions des banalités affligeantes, dans une atmosphère très gênante.

Et puis Président a dit « Qu’est-ce que tu veux faire pour l’Asso ? »

J’ai commencé à dire « Je sais pas… », ma voix a chevroté, et j’ai éclaté en sanglots. Il m’a pris dans ses bras, je l’ai serré très fort, inondant son bleu de travail de mes larmes, et répétant « Je ne sais pas, je n’y arrive pas, je n’y arrive pas ».
Et, bon sang, c’est vrai : je n’y arrive pas, je n’arrive à rien, je n’arrive pas à me reprendre, pas à reprendre ma vie en main, pas à passer ce cap, je n’arrive plus à vivre normalement.
Président m’a serré contre lui, il m’a dit que ça irait, que ça irait forcément. Que je devais prendre mon temps, et on verrait en temps voulus pour l’Asso. On a parlé de Charles-Henri, il m’a confié n’avoir jamais rien su (jusqu’au jour où Charles-Henri l’a officialisé brutalement, soit deux semaines avant de me quitter), et ne pas non plus avoir su la fin de l’histoire. Il m’a dit que Charles-Henri ne vivait pas forcément très bien la situation lui non plus, mais finalement il n’en a aucune idée, il ne sait pas. Moi je suis certaine que Charles-Henri va très bien – d’ailleurs n’a-t-il pas dit qu’il était soulagé ? C’est tellement plus facile de quitter quelqu’un, surtout quand tu ne ressens rien.
J’ai beaucoup parlé, et ça m’a fait du bien de vider mon sac. Je lui ai raconté mes peurs, devrais-je dire mes terreurs de finir seule, et de ne jamais avoir ni de foyer, ni de famille, ni d’enfants. Que je me sentais vieille et conne. Que mes amies plus jeunes que moi sont posées, voir enceintes. Que je me sens anormale (mais Charles-Henri n’a-t-il pas sous-entendu la même chose ?), et surtout que j’ai un problème, que je ne comprends ni le monde qui m’entoure, ni les autres en général. Et histoire de m’enfoncer dans le pathétique, j’ai terminé par « Je n’y arriverais jamais ». Parce que quitte à être une chose humide, bruyante et misérable, autant l’être jusqu’au bout.
Président a été hyper cartésien « Statistiquement, c’est impossible ». Et étrangement, c’était réconfortant. Il m’a aussi conforté, me disant que, certes, là je souffrais le martyr, mais que les personnes passionnées comme moi trouvaient de vrais partenaires de vie. Et que des gens comme Charles-Henri, plutôt dans la socialisation intensive, étaient peut-être plus dans le superficiel, notamment au niveau des relations.
Oui, mais si jamais je ne trouve jamais mon partenaire de vie ? Si j’enchaine les déconvenues ? Ou pire, que mes multiples facettes de personnalité soient finalement incompatibles avec l’idée de l’Autre ?
Nous avons mangé tous les trois, un très bon curry préparé avec amour par son petit ami, que j’apprécie vraiment de plus en plus, même si là en l’occurrence, il avait tellement pitié de moi que ça en devenait gênant.
Mais je me sentais mieux. J’avais parlé, j’avais beaucoup pleuré, j’étais vidée provisoirement de ma tristesse, et je me suis sentie capable d’aller à l’anniversaire de mon ami.
J’ai conduit jusque là bas confiante, en me disant « Je vais y arriver ».
J’ai sonné, j’ai commencé à avoir peur. J’ai envisagé de partir. J’ai monté les 4 étages, j’ai entendu les gens rires, j’ai commencé à paniquer, j’ai réalisé que je n’avais pas pris mes calmants, j’ai encore plus paniqué, je me suis dit que j’allais devoir faire bonne figure et m’intégrer à l’ambiance alors que j’arrivais avec 3h de retard et aucune envie de rire, et je me suis dit « Je n’aurais pas dû venir ». Mister Perfect est sorti m’accueillir sur le palier, et je me suis effondrée en sanglots dans ses bras. Mon ami est arrivé, il m’a serré contre lui aussi, pendant que je pleurais, que je m’excusais, et que je regrettais d’être venu, en répétant « Je pensais y arriver, j’y croyais vraiment ».
Au final, je suis restée deux heures dans l’escalier. J’ai gobé deux calmants qui m’ont un peu détendu, mais j’ai été incapable de rentrer.
Mister Perfect est resté avec moi, et nous avons parlé. Il a voulu savoir ce qui s’était passé, s’énervant parfois, me consolant beaucoup, et me rassurant du mieux possible. Il a pesté : « Ce qui m’effraie avec toi, c’est que tu fais toujours tout à fond, et que tu finis par en souffrir. Tu t’implique trop, émotionnellement parlant. Là tu souffres déjà de voir régulièrement le-mec-de-la-salle-de-sport, et tu vas vivre la même chose à l’Asso. Tu peux pas continuer comme ça, il faut que tu te blindes ! Ou que tu gardes une distance ! ». Je lui ai expliqué que ma distance, je l’ai tenu jusqu’à deux semaines avant la rupture, pensant vivre un truc sérieux et partagé. Et que je me suis fait fauchée en pleine ascension fulgurante. Il m’a avoué avoir entendu des rumeurs sur Charles-Henri, qui se traîne une réputation déplorable que tout les étudiants en médecine connaissent : celle d’un branleur, fêtard, pas sérieux, buveur invétéré. « Mais ça ne voulait pas forcément dire qu’il ne serait pas bien avec toi… ». J’ai appréciée de pouvoir parler avec Mister Perfect. Malgré tout ce qu’il y a eu, malgré mes quelques pétages de plombs contre lui, c’est un ami extrêmement précieux, et vraiment, je l’aime profondément.
Je suis finalement repartie à 1h du matin. Même si parler m’avait fait du bien, je n’ai pas été capable de me joindre à la fête, et j’ai été incapable de rester dormir chez mon ami, me sentant stupide et penaude. Je suis retourné chez Président, qui m’avait proposé de m’héberger si besoin. Je suis arrivé les larmes aux yeux, avouant du bout des lèvres avoir été incapable de rentrer, et avoir passé deux heures dans l’escalier. Le copain de Président ne comprenait pas : « Mais… Il y avait Charles-Henri ? »
« Non, juste des gens qui riaient… Et je me suis sentie incapable de rire »
Je me sentais stupide, tellement stupide, et mes yeux menaçaient de nouveau de déborder.
Les deux ont balayés ma honte d’un geste : ils m’ont installé un lit, m’ont proposés de me joindre à eux près de la cheminée pour boire un rhum arrangé, ou d’aller me coucher sans sommation si je voulais. Je me suis détendue, j’ai eu le sentiment de pouvoir être telle que j’étais sans pression, avec ma tristesse, sans être obligée d’offrir une façade, et tout s’est beaucoup mieux passé. Je me suis assise dans le canapé, je les ai écouté parlé sans me sentir obligée de parler à mon tour, je me suis imprégnée de l’ambiance, j’ai essayé de graver ce moment dans ma mémoire : la semi-obscurité, le feu à côté de moi, le moelleux du canapé, la chaleur, les chats qui évoluaient autour de nous, la vue sur le jardin, alors qu’il était indécemment tard. Il y avait une forme de sérénité désespérée dans ce moment.

J’ai été me coucher en même temps qu’eux. J’ai un peu pleuré, continuant à ressentir une vive honte d’avoir passé l’anniversaire de mon ami dans son couloir, me flagellant mentalement d’être une amie-boulet. J’ai envoyé un message à Copine#1 pour lui raconter, et elle a tenu à répondre tout de suite pour me rassurer – « Tu es malade, ce n’est pas ta faute, voilà tout, pour l’instant ce n’est pas le moment pour toi, ce n’est pas grave » - même s’il était 3h du matin, et que je la réveillais.
J’aimerais réussir à juste me sentir reconnaissante envers mes amis, et à voir tout ce soutien autour de moi, qui est tellement plus fort que ma perte… Mais je n’y suis pas encore.


Et puis j’ai dormi, du sommeil profond et sans rêves que les médicaments m’offrent pour l’instant, en espérant ne pas prendre trop l’habitude de vivre avec.

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