J’ai
l’impression que ma vie en ce moment est une succession d’événements et de
décisions qui suivent la chronologie « Avant la rupture » et
« Après la Rupture ».
Un peu avant
la rupture, un de mes ami m’invitait à son anniversaire, à Charlhenriville
(je vais devoir renommer cette ville). Je comptais y aller, peut-être même
inviter Charles-Henri pour présenter mon-mec-trop-super-on-est-ensemble-je-l’aime,
et ensuite dormir avec délice entre ses bras.
Et puis
Charles-Henri m’a quitté.
L’anniversaire
avait lieu 10 jours après, et j’ai oscillé entre « J’y vais » et
« J’y vais pas » pendant des jours. Si deux jours après la rupture,
j’avais l’impression de garder la tête hors de l’eau, j’ai complètement perdu
cette capacité la semaine qui a suivi : je n’arrivais pas à me lever, pas
à penser, pas à travailler. Je pleurais sans cesse, à gros sanglots. Je me
disais que j’étais incapable d’aller à l’anniversaire dans cet état.
J’ai eu une
semaine de dingue au boulot, j’ai géré un vieux monsieur qui faisait un malaise
avec un sang froid de dingue (et je me suis impressionnée), j’ai eu des tas de
choses à faire qui m’épuisaient, un pot de retraite d’une collègue où j’étais
terrorisée d’être au milieu de plein de gens et de risquer de pleurer, et j’en
passe, sans parler de mon déménagement à préparer – que je n’arrivais pas à
avancer. Je me sentais au bout de tout, à subir mon quotidien tant bien que
mal, sans réussir à gérer grand-chose, et soulagée quand j’arrivais à ne pas
pleurer devant témoins.
J’ai décidé
de monter tout de même à Charlhenriville, déjà pour apporter les affaires de
Charles-Henri à Président. Le jour même, en bourrant son polo dans le petit
carton avec ses affaires, je n’ai pas pu m’empêcher de sentir une dernière fois son odeur sur le
tissu. J’ai éclaté en sanglot dans cette odeur que je trouvais, d’une façon
complètement irrationnelle, encore rassurante. Il était vraiment temps que je
me débarrasse de tout ça.
Lorsque je
suis arrivée chez Président, tenant le sachet comme si je transportais des
déchets nucléaires, il m’a dit, négligemment « Tiens, poses ça n’importe
où. Débarrasse-toi de ça ».
Je lui ai
été très reconnaissante de cette attitude détachée.
Son mec et
lui me regardait comme si j’étais une bombe à retardement. Certes, j’avais
pleuré pendant tout le trajet, et c’est vrai aussi que ça faisait plus ou moins
10 jours que je pleurais quasi non-stop : j’avais une mine effroyable, les
yeux irrités, j’étais chiffonnée et habillé n’importe comment. Je suppose que
tout mon être hurlait « Ouais, je suis super ultra over mega
triste ».
Ils étaient
en plein atelier peinture, parce que Président s’est dit « Je vais faire
une salle de projection cinéma au rez-de-chaussée de mon appart de ouf »
(Ouais, s’t’euplait. Excuse)
Ils se
relayaient auprès de moi, l’un peignant, l’autre essayant de me faire la
conversation, et nous nous disions des banalités affligeantes, dans une
atmosphère très gênante.
Et puis
Président a dit « Qu’est-ce que tu veux faire pour l’Asso ? »
J’ai
commencé à dire « Je sais pas… », ma voix a chevroté, et j’ai éclaté
en sanglots. Il m’a pris dans ses bras, je l’ai serré très fort, inondant son
bleu de travail de mes larmes, et répétant « Je ne sais pas, je n’y arrive
pas, je n’y arrive pas ».
Et, bon
sang, c’est vrai : je n’y arrive pas, je n’arrive à rien, je n’arrive pas
à me reprendre, pas à reprendre ma vie en main, pas à passer ce cap, je
n’arrive plus à vivre normalement.
Président
m’a serré contre lui, il m’a dit que ça irait, que ça irait forcément. Que je
devais prendre mon temps, et on verrait en temps voulus pour l’Asso. On a parlé
de Charles-Henri, il m’a confié n’avoir jamais rien su (jusqu’au jour où
Charles-Henri l’a officialisé brutalement, soit deux semaines avant de me
quitter), et ne pas non plus avoir su la fin de l’histoire. Il m’a dit que
Charles-Henri ne vivait pas forcément très bien la situation lui non plus, mais
finalement il n’en a aucune idée, il ne sait pas. Moi je suis certaine que
Charles-Henri va très bien – d’ailleurs n’a-t-il pas dit qu’il était
soulagé ? C’est tellement plus facile de quitter quelqu’un, surtout quand
tu ne ressens rien.
J’ai
beaucoup parlé, et ça m’a fait du bien de vider mon sac. Je lui ai raconté mes
peurs, devrais-je dire mes terreurs de finir seule, et de ne jamais avoir ni de
foyer, ni de famille, ni d’enfants. Que je me sentais vieille et conne. Que mes
amies plus jeunes que moi sont posées, voir enceintes. Que je me sens anormale
(mais Charles-Henri n’a-t-il pas sous-entendu la même chose ?), et surtout
que j’ai un problème, que je ne comprends ni le monde qui m’entoure, ni les
autres en général. Et histoire de m’enfoncer dans le pathétique, j’ai terminé
par « Je n’y arriverais jamais ». Parce que quitte à être une chose
humide, bruyante et misérable, autant l’être jusqu’au bout.
Président a
été hyper cartésien « Statistiquement, c’est impossible ». Et
étrangement, c’était réconfortant. Il m’a aussi conforté, me disant que,
certes, là je souffrais le martyr, mais que les personnes passionnées comme moi
trouvaient de vrais partenaires de vie. Et que des gens comme Charles-Henri,
plutôt dans la socialisation intensive, étaient peut-être plus dans le
superficiel, notamment au niveau des relations.
Oui, mais si
jamais je ne trouve jamais mon partenaire de vie ? Si j’enchaine les
déconvenues ? Ou pire, que mes multiples facettes de personnalité soient
finalement incompatibles avec l’idée de l’Autre ?
Nous avons
mangé tous les trois, un très bon curry préparé avec amour par son petit ami,
que j’apprécie vraiment de plus en plus, même si là en l’occurrence, il avait
tellement pitié de moi que ça en devenait gênant.
Mais je me
sentais mieux. J’avais parlé, j’avais beaucoup pleuré, j’étais vidée
provisoirement de ma tristesse, et je me suis sentie capable d’aller à
l’anniversaire de mon ami.
J’ai conduit
jusque là bas confiante, en me disant « Je vais y arriver ».
J’ai sonné,
j’ai commencé à avoir peur. J’ai envisagé de partir. J’ai monté les 4 étages,
j’ai entendu les gens rires, j’ai commencé à paniquer, j’ai réalisé que je
n’avais pas pris mes calmants, j’ai encore plus paniqué, je me suis dit que
j’allais devoir faire bonne figure et m’intégrer à l’ambiance alors que
j’arrivais avec 3h de retard et aucune envie de rire, et je me suis dit
« Je n’aurais pas dû venir ». Mister Perfect est sorti m’accueillir
sur le palier, et je me suis effondrée en sanglots dans ses bras. Mon ami est
arrivé, il m’a serré contre lui aussi, pendant que je pleurais, que je m’excusais,
et que je regrettais d’être venu, en répétant « Je pensais y arriver, j’y croyais
vraiment ».
Au final, je
suis restée deux heures dans l’escalier. J’ai gobé deux calmants qui m’ont un
peu détendu, mais j’ai été incapable de rentrer.
Mister
Perfect est resté avec moi, et nous avons parlé. Il a voulu savoir ce qui s’était
passé, s’énervant parfois, me consolant beaucoup, et me rassurant du mieux
possible. Il a pesté : « Ce qui m’effraie avec toi, c’est que tu fais
toujours tout à fond, et que tu finis par en souffrir. Tu t’implique trop,
émotionnellement parlant. Là tu souffres déjà de voir régulièrement le-mec-de-la-salle-de-sport,
et tu vas vivre la même chose à l’Asso. Tu peux pas continuer comme ça, il faut
que tu te blindes ! Ou que tu gardes une distance ! ». Je lui ai
expliqué que ma distance, je l’ai tenu jusqu’à deux semaines avant la rupture, pensant
vivre un truc sérieux et partagé. Et que je me suis fait fauchée en pleine ascension
fulgurante. Il m’a avoué avoir entendu des rumeurs sur Charles-Henri, qui se traîne une réputation déplorable que tout les étudiants en médecine connaissent : celle d’un
branleur, fêtard, pas sérieux, buveur invétéré. « Mais ça ne voulait pas
forcément dire qu’il ne serait pas bien avec toi… ». J’ai appréciée de
pouvoir parler avec Mister Perfect. Malgré tout ce qu’il y a eu, malgré mes
quelques pétages de plombs contre lui, c’est un ami extrêmement précieux, et
vraiment, je l’aime profondément.
Je suis finalement
repartie à 1h du matin. Même si parler m’avait fait du bien, je n’ai pas été
capable de me joindre à la fête, et j’ai été incapable de rester dormir chez
mon ami, me sentant stupide et penaude. Je suis retourné chez Président, qui m’avait
proposé de m’héberger si besoin. Je suis arrivé les larmes aux yeux, avouant du
bout des lèvres avoir été incapable de rentrer, et avoir passé deux heures dans
l’escalier. Le copain de Président ne comprenait pas : « Mais… Il y
avait Charles-Henri ? »
« Non,
juste des gens qui riaient… Et je me suis sentie incapable de rire »
Je me sentais
stupide, tellement stupide, et mes yeux menaçaient de nouveau de déborder.
Les deux ont
balayés ma honte d’un geste : ils m’ont installé un lit, m’ont proposés de
me joindre à eux près de la cheminée pour boire un rhum arrangé, ou d’aller me
coucher sans sommation si je voulais. Je me suis détendue, j’ai eu le sentiment
de pouvoir être telle que j’étais sans pression, avec ma tristesse, sans être
obligée d’offrir une façade, et tout s’est beaucoup mieux passé. Je me suis
assise dans le canapé, je les ai écouté parlé sans me sentir obligée de parler
à mon tour, je me suis imprégnée de l’ambiance, j’ai essayé de graver ce moment
dans ma mémoire : la semi-obscurité, le feu à côté de moi, le moelleux du
canapé, la chaleur, les chats qui évoluaient autour de nous, la vue sur le
jardin, alors qu’il était indécemment tard. Il y avait une forme de sérénité
désespérée dans ce moment.
J’ai été me
coucher en même temps qu’eux. J’ai un peu pleuré, continuant à ressentir une
vive honte d’avoir passé l’anniversaire de mon ami dans son couloir, me flagellant
mentalement d’être une amie-boulet. J’ai envoyé un message à Copine#1 pour lui raconter,
et elle a tenu à répondre tout de suite pour me rassurer – « Tu es malade,
ce n’est pas ta faute, voilà tout, pour l’instant ce n’est pas le moment pour
toi, ce n’est pas grave » - même s’il était 3h du matin, et que je la
réveillais.
J’aimerais
réussir à juste me sentir reconnaissante envers mes amis, et à voir tout ce
soutien autour de moi, qui est tellement plus fort que ma perte… Mais je n’y
suis pas encore.
Et puis j’ai
dormi, du sommeil profond et sans rêves que les médicaments m’offrent pour l’instant,
en espérant ne pas prendre trop l’habitude de vivre avec.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire